Rupture brutale des relations commerciales établies

Le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies connaît une nouvelle actualité avec l’épidémie de Covid-19, qui a conduit de nombreux acteurs économiques à rompre des contrats, notamment avec leurs sous-traitants.

La victime de la rupture peut saisir le juge du fond en vue d’être indemnisée de la perte de marge subie, mais elle peut également, en amont et dès que la notification lui en est faite, exercer une action préventive en référé, visant à obtenir, au besoin sous astreinte, la poursuite du contrat pendant un délai de préavis suffisant pour lui permettre de se réorganiser (C. com., art. L. 442-4). L’aboutissement de ces deux types d’actions suppose de démontrer :

  • l’existence d’une relation commerciale présentant un « caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial », « cette anticipation raisonnable (pouvant) être démontrée en s’appuyant sur (…) une pratique passée dont la partie victime de la rupture pouvait inférer que sa relation commerciale s’instaurait dans la durée » (Cass., rapport annuel 2008, 4ème partie, Droit de la concurrence, p. 307 ; Paris, 22.09 2016, n°14/18692 ; Paris, 30.09.2016, n°14/03928). C’est ici la réalité de la relation qui est prise en compte, peu important notamment qu’elle soit ou non formalisée par un écrit (Paris, 2 mars 2017, n°15/10786) ;
  • la brutalité de la rupture, caractérisée par l’insuffisance ou le non-respect du préavis accordé. La durée raisonnable du préavis est déterminée au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances existant au moment de la notification de la rupture, telles que « la dépendance économique (entendue non pas comme la notion de droit de la concurrence, mais comme la part de chiffre d’affaires réalisée par la victime avec l’auteur de la rupture), la difficulté à trouver un autre partenaire sur le marché, de rang équivalent, (…) les caractéristiques du marché en cause, les obstacles à une reconversion, en terme de délais et de coûts d’entrée dans une nouvelle relation, l’importance des investissements effectués dédiés à la relation » (Paris, 09.01.2019, n°16/13392). Apparaissent particulièrement déterminantes tant la durée de la relation que la part de chiffre d’affaires réalisée par la victime avec l’auteur de la rupture (Paris, 18.04.2019, n°16/19886 ; Paris, 19.04.2019, n°17/05334). Quant à l’effectivité du préavis, elle suppose « le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures » (Com., 10.02.2015, n°13-26414).

Depuis l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, « la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut (plus) être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois » (C. com. Art. L.442-1). Le juge conserve néanmoins son plein pouvoir d’apprécier le caractère suffisant du délai de préavis soumis à son jugement, mais il est désormais enclin à limiter, en toute hypothèse, la durée du préavis à 18 mois.

En cas de non-respect d’un préavis jugé suffisant, l’indemnisation accordée correspond à la marge brute que la victime de la rupture aurait perçue si les relations commerciales s’étaient poursuivies. Les montants octroyés peuvent ainsi aller d’à peine mille euros dans un cas où la relation commerciale ayant duré moins d’un an, le juge a retenu un préjudice égal à la marge perdue sur 1 mois de préavis inexécuté (Paris, 10.10.2012, n°09/22994), à près d’un million d’euros dans une affaire où, la relation commerciale ayant duré 20 ans et la victime de la rupture réalisant entre 70 et 88% de son chiffre d’affaires avec l’auteur de la rupture, le juge a retenu un préjudice égal à la perte de marge sur 18 mois (Paris, 18.10.2012, n°10/169252).

Ces règles demeurent pleinement applicables nonobstant le contexte économique, à moins que celui-ci rende impossible le maintien du contrat aux conditions antérieures.